Dans l’œil du démon de Jun’ichirô Tanizaki
Dans l'œil du démon de Jun'ichirô Tanizaki
Intriguée par ce titre, je me suis plongée pour la première fois dans un récit de Tanizaki. J’ai découvert un polar psychologique où l’auteur brouille la frontière entre fiction et réalité. Happée par l’énigme, Tanizaki nous plonge dans un univers obscure où il est difficile de mêler le vrai du faux.
L’appel de Sonomura
Sonomura interrompt Takahashi, écrivain, et lui propose d’assister à un meurtre. Le croyant fou et inquiet pour Sonomura, Takahashi accepte et l’accompagne dans un bas fond de Tokyo pour assister à ce meurtre orchestré par une femme démoniaque. Qui est cette femme ? Sonomura tombe fou amoureux d’elle et décide de mettre sa vie entre ses mains. Il fait savoir à son ami qu’il est sa prochaine proie…
Cauchemar ou réalité ?
Auteur aux thèmes provocateurs, Tanizaki est le seul écrivain japonais à figurer dans la Pléiade. Souvent heurté à la censure, ce texte écrit en 1918 et traduit en France en 2019. Il explore les éléments constitutifs de son œuvre : fascination pour le trouble, attirance de l’interdit et obsession. Puis fascination de la beauté féminine, une beauté destructrice, avilissante pour l’homme.
» N’as tu pas remarqué l’expression quelque peu mystérieuse que lui donnent ses sourcils trop épais, cette cruauté terrible, bestiale, cette expression de puissance ? La férocité de sa lèvre, cette malignité abyssale, et plus que tout cette douloureuse expression de regret, cet embonpoint marbré d’une légère mélancolie, qu’en as- tu pensé toi ? Existe- t- il une seule geisha qui présente ce type de beauté maladive ? Tu en trouveras autant que tu veux qui possèdent chacun de ces éléments pris un par un, mais une telle profondeur dans la beauté, crois- tu vraiment pouvoir la trouver ? “
Ce texte m’a fascinée et hypnotisée. Entre cauchemar et réalité, peur et excitation, Tanizaki mêle des sentiments contradictoires. Sulfureux, d’abord jeu de piste puis jeu de rôle, l’auteur livre de manière subtile un récit à la fois glaçant, intriguant et presque irréel. Par son style, on croit parfois être dans un mauvais rêve, tellement l’étrange plane dans le récit. Il déplace sans cesse notre regard et instille le doute à travers le discours de Sonomura.
Comme le narrateur, « Jamais je n’avais fait une telle expérience. Comme une suffocation, comme la conscience qui devient progressivement floue quand le sang quitte le corps, au-delà de l’effroi, quelque chose proche de l’extase au contraire, un indistinct engourdissement. ».
» N’as tu pas remarqué l’expression quelque peu mystérieuse que lui donnent ses sourcils trop épais, cette cruauté terrible, bestiale, cette expression de puissance ? La férocité de sa lèvre, cette malignité abyssale, et plus que tout cette douloureuse expression de regret, cet embonpoint marbré d’une légère mélancolie, qu’en as- tu pensé toi ? Existe- t- il une seule geisha qui présente ce type de beauté maladive ? Tu en trouveras autant que tu veux qui possèdent chacun de ces éléments pris un par un, mais une telle profondeur dans la beauté, crois- tu vraiment pouvoir la trouver ? “
Ce texte m’a fascinée et hypnotisée. Entre cauchemar et réalité, peur et excitation, Tanizaki mêle des sentiments contradictoires. Sulfureux, d’abord jeu de piste puis jeu de rôle, l’auteur livre de manière subtile un récit à la fois glaçant, intriguant et presque irréel. Par son style, on croit parfois être dans un mauvais rêve, tellement l’étrange plane dans le récit. Il déplace sans cesse notre regard et instille le doute à travers le discours de Sonomura.
Comme le narrateur, « Jamais je n’avais fait une telle expérience. Comme une suffocation, comme la conscience qui devient progressivement floue quand le sang quitte le corps, au-delà de l’effroi, quelque chose proche de l’extase au contraire, un indistinct engourdissement. ».
Extrait
"Je fais moi-même partie de ceux qui sont quelque peu fatigués de la beauté japonaise pur style, geishaesque, eh bien, sans qu’on puisse rapporter son profil à ce type de beauté à l’ovale longiligne et au menton effilé, dite graine de pastèque, tant vantée dans les petits livres illustrés du temps jadis, de la perfection absolue de ses traits se dégageaient au contraire, au sein même du rebondi de la prime jeunesse, de la souplesse tendue de la goutte d’eau, une froideur glaciale, une rigueur, dans lesquelles entraient mystérieusement afféterie et arrogance.."

Jun'ichirô Tanizaki
Date de parution : 03/ 10/ 2019
Éditeur : Philippe Picquier
Collection : Littérature Grand Format
Nombre de pages : 132
