Chroniques littérairesContemporain

Numéro 11 de Jonathan Coe

Numéro 11. Quelques contes sur la folie des temps de Jonathan Coe

Évasion fiscale, politique d’austérité, folie des intellectuels, dénonciations des « assistés », scoop des journalistes, rien n’épargne une société gouvernée par une poignée de dirigeants malveillants. Jonathan Coe livre une brillante satire sociale et politique de la société contemporaine. Diabolique et sarcastique !
Ce que le livre raconte
Rachel et Alison, deux fillettes de dix ans passent une semaine de vacances dans la maison des grands-parents de Rachel, à Beverley. « La Folle à l’Oiseau » occupe la maison numéro 11 de Needless Alley.

Le temps défile, les jeunes filles grandissent séparément.

Alison vit avec sa mère Val Doubleday, chanteuse ratée. Elle travaille dans une bibliothèque mais les restrictions budgétaires de plus en plus drastiques  réduisent son salaire. Elle se réfugie dans le bus numéro 11 pour profiter du chauffage. Désespérée, elle participe à une émission de téléréalité, la Jungle.

Alison suit des cours d’art. Son profil spécifique fera d’elle la cible de Joséphine Winshaw.

Rachel fréquente l’Université d’Oxford où elle fera la connaissance de Laura, une enseignante de l’Université. Elle lui livre des détails précis sur son passé et sur celui de son mari. 

A la fin de ses études, Rachel cherche du travail. Elle s’inscrit dans une agence pour donner des cours particuliers. La famille Gunn fortunée fait appel à Rachel pour aider leurs fils souhaitant entrer à Oxford. Son objectif : le rendre moins arrogant. Puis Rachel finira par se voir accomplir d’autres missions. La famille Gunn lui attribue un logement dans leur maison, lieu où elle se sentira de plus en plus mal à l’aise et de moins en moins en sécurité…

Le plus drôle ? La famille Gunn souhaite agrandir leur maison de 11 étages souterrains pour permettre l’installation d’une salle de jeux, un cinéma, une piscine avec palmier, etc. Rachel remarque que les ouvriers ne sont plus les mêmes qu’au départ. Outre l’immensité du chantier, plus ils creusent vers le niveau -11 plus des phénomènes paranormaux se produisent. Seule dans cette maison en compagnie des jumelles, Rachel prend peur et croit devenir folle ! 
Mon avis et plus
Après Expo 58, Jonathan Coe revient avec un roman sarcastique où il dépeint une société en perdition gouvernée par certains Winshaw, membres de la famille saugrenue et malveillante héroïne de Testament à l’Anglaise. 

Comme dans l’ensemble de ses romans, on retrouve une horde de personnages aux traits particuliers liés par le destin. Les différents chemins empruntés par ces personnages font transparaître un sombre portrait de la société sur le plan social et politique. Jonathan Coe s’attaque à la profonde ineptie de la téléréalité, la bêtise à l’état pur où finalement la manipulation apparaît au cœur de la stratégie.

Val Doubleday, mère de famille au physique ingrat, représente la cible parfaite pour l’émission où elle subira longtemps les conséquences. Humiliée par l’émission, insultée par les téléspectateurs, tout le monde se souviendra de son visage. Faut-il sacrifier sa dignité pour gagner une somme de dix milles livres ? La téléréalité joue avec la vacuité des téléspectateurs et les participants figurent tels des produits commerciaux consommés par des temps de cerveaux disponibles.
Puis à travers le portrait de la richissime famille Gunn, la bêtise n’épargne guère les plus fortunés ! Au contraire, ce n’est plus l’homme qui semble consommer mais l’argent qui le consomme pleinement. L’absurdité est à son comble ! Le seuil de la stupidité est atteint par Madame Gunn en souhaitant agrandir leur maison de onze étages souterrains. Une mesure improbable dans l’objectif de montrer que l’argent peut réaliser nos rêves les plus farfelus.
Les grands-parents de Rachel à la campagne incarnent l’amour, le véritable. Bien qu’à la retraite et ayant quitté le dur marché du travail, la maladie s’abat sur eux. Seul un traitement onéreux leur permettrait de savourer les derniers moments de la vie. Cependant, leurs revenus ne leur permettent pas de financer ce traitement. Le sort reste cruel, même lors de nos jours censés être les plus paisibles.
Le roman se termine sur un ton plus joyeux, à l’image du début, où l’enfance incarne l’innocence. Une innocence qui reflète une vie loin de l’obscurité du monde, où l’on savoure le goût des prunes sucrées sur une branche d’arbre. Et dans laquelle notre imagination pimente notre existence. La perte de l’innocence s’illustre tel un pas irréversible vers un monde parsemé de monstres.
Pour conclure, cette lecture donne d’entrée de jeu le ton du roman. Elle peut être perçu comme une superposition de contes, liés les uns aux autres par des relations humaines, traitant de la folie des temps, de la société, rythmés par le fameux numéro 11. L’ensemble des histoires des personnage reflète l’imagination débordante de l’auteur pour révéler le visage sombre de la société. Il n’hésite pas à aller dans l’excès pour interpeller les contemporains !
Extrait
« Il lui fallut deux heures pour bloquer ainsi les plus infects, d’autant plus que de nouveaux tweets affluaient déjà, presque aussi vite qu’elle les bloquait. Au bout du compte, elle se sentit souillée, comme si elle avait récuré des toilettes à mains nues toute la matinée. »

Date de parution : 03/10/2016

Éditeur : Gallimard

Collection : Du Monde Entier

Nombre de pages : 448

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